La Présidentielle libanaise dans le chaudron syro-iranien La crédibilité de la France au risque de sa politique étrangère
Beyrouth, le 20 novembre 2007, 1 h. – « Je veux savoir qui bloque et qui en portera la responsabilité… Celui qui portera la responsabilité d’avoir bloqué un processus accepté par tout le monde portera la responsabilité de la déstabilisation du Liban et de ses conséquences régionales… La France fera savoir au monde entier qui est responsable de cette situation », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, arrivé tard dans la soirée de dimanche pour son sixième voyage au Liban depuis mai dernier. Nous serions tenté de dire sa sixième mission.
Le ton était à la mesure de sa colère et de son enjeu, et d’une voix si enrouée qu’elle en était encore plus pathétique, plus pitoyable, Kouchner s’interrogeait : « Tout le monde avait dit son accord… Maintenant, je m’étonne, la France s’étonne que quelque chose ait coincé, quelque chose ait bloqué, que quelque chose ait dérapé. »
Et c’est exact « quelque chose » a dérapé. Ce qui nous étonne, c’est que le ministre des Affaires étrangères, c’est que Bernard Kouchner, supposé rompu au terrain, s’étonne !
Aujourd’hui, à moins qu’au cours de cette nuit orageuse – le tonnerre gronde et les éclairs zèbrent le ciel – quelque chose ait pu changer – j’ose dire un miracle qu’il ne semble pas que nous ayons mérité – la présidentielle libanaise est plus que jamais au fond des chaudrons irano-syriens et c’est dans ces mêmes chaudrons que se joue la crédibilité de la France.
Pour mieux comprendre ce qui va suivre, il faut revenir quelques jours en arrière, au dernier voyage de Kouchner il y a moins d’une semaine.
Paris obtient, à force de persuasion et de pression, que le patriarche maronite, le cardinal Sfeir, dresse une liste de présidentiables. Sfeir cède et remet la liste à l’ambassadeur de France. Une liste de 6 noms – certaines sources en annoncent 7. Je pense qu’elle serait en fait constituée de 6 noms. Sfeir déclarera alors : on ne dira pas que c’est nous, Eglise maronite, qui avons empêché l’élection d’un président de la République à la date fixée.
Paris était intimement convaincu que lorsque Damas, et Téhéran en écho, affirmaient vouloir ce que les Libanais voulaient et en particulier les Chrétiens, Damas et Téhéran jouaient franc-jeu en suggérant cette liste.
Les 6 noms du Patriarche sont les 2 candidats du 14 Mars, Nassib Lahoud et Boutros Harb, l’unique candidat du 8 mars, le général Aoun, 2 candidats plus ou moins proches du 14 Mars Robert Ghanem et Michel Boutros El-Khoury et enfin Michel Eddé qui déclara – il n’y a pas si longtemps que cela – qu’il ferait barrage de son corps mais les Syriens ne quitteraient pas le pays – je cite de mémoire mais je retrouverai sa citation intégrale.
Très vite, et bien avant Paris, le patriarche Sfeir se déclarera floué. L’opposition a immédiatement exclu les 4 candidats du ou proche du 14 Mars et dans un premier temps en garda deux : Michel Aoun et Michel Eddé.
Acte suivant, l’opposition, en chœur, déclare qu’elle n’a qu’un seul et unique candidat : Michel Aoun.
Samir Geagea ira jusqu’à dire : nous avons même été jusqu’à envisager d’accepter le cinquième nom, mais ils ne veulent même pas discuter.
Le Hezbollah ce soir affirme refuser de se rendre au Parlement s’il n’y a pas consensus sur un seul et unique nom celui du futur président de la République qui sera « élu » (!) par les députés. Et ce candidat devra bien évidemment être Michel Aoun. Nous pensions que le Liban était « l’unique démocratie » de la région.
Bien joué pour l’opposition et bien mené par ses mentors, qui pensent ainsi obliger la majorité à accepter Michel Eddé qui sera au mieux un Emile Lahoud bis, le bagou et une certaine culture en plus.
Si un tel scénario devait, à Dieu ne plaise, aboutir, cela voudra dire 6 ans au cours desquels nous vivrons ce que nous vivons aujourd’hui : toutes les institutions nationales sont bloquées et avec elles la vie économique, diplomatique, sociale… l’unique secteur en expansion exponentielle : l’immigration définitive des jeunes et des Chrétiens.
Gagner ou perdre l’élection présidentielle n’est qu’un début. Dès le lendemain il faudra penser à la formation du gouvernement. Qui sera le prochain Premier ministre ? L’opposition obtiendra-t-elle ce qu’elle exige, le tiers de blocage ? Viendront après la formation du Tribunal international et dans 18 mois la nomination du prochain commandant en chef de l’armée qui, selon le dernier discours de Hassan Nasrallah, devra d’abord protéger les armes du Hezbollah. Mission d’ailleurs exigée du prochain Président qui devra d’abord et avant tout rejeter les résolutions internationales comme la 1559 et vider de son sens la 1701. « Personne au monde ne pourra désarmer le Hezbollah », avait menacé Nasrallah.
Paris a pesé de tout son poids pour trouver une solution dans les délais et dans la forme la plus proche du respect des institutions en tentant de sauver le maximum des acquis de la révolution du Cèdre. Nous n’avons pas besoin d’attendre le 24 novembre pour découvrir que nous avons déjà beaucoup perdu.
Pour Paris « c’est la dernière tentative pour éviter l’échec de la médiation française », écrivait notre confrère arabophone An-Nahar. Mais Paris n’a pas les moyens de sa politique, de ses ambitions. « Malgré ses efforts, la France, devenue une puissance moyenne, manque de carottes comme de bâtons pour s’imposer comme autrefois au Liban, et doit compter sur un allié américain miné par la débâcle irakienne. »
Nous pouvons facilement imaginer les « carottes » mais les bâtons ? Kouchner menace de révéler qui est la partie, les parties, qui empêchent, bon déroulement de la présidentielle. Pourra-t-il mettre au moins cette menace à exécution ? On ne voit pas comment quand, pas un instant, sa pensée ne doit quitter les 1 600 hommes du contingent français de la FINUL.
Cette nuit, l’ambassadeur de France chargé du dossier libanais, Jean-Claude Cousseran, a été dépêché en urgence à Téhéran pour des entretiens, que beaucoup qualifient de la dernière chance, avec les ministres iranien et syrien des Affaires étrangères. Et Saad Hariri est à Moscou pour conférer avec les Russes qui ont, pour l’instant, l’oreille de Damas et de Téhéran.
Le président syrien, Bachar aL-Assad, a affirmé que la région entière était au bord de l’explosion si dans la recherche d’une solution on tentait de favoriser une partie contre l’autre. Ces propos rapportés par l’agence syrienne Sana, concernaient tous les dossiers régionaux,en tête desquels la présidentielle libanaise et le dossier palestinien à la veille de la conférence d’Annapolis.
C’est ce mercredi 21 novembre que le parlement libanais devrait se réunir. Sans nul doute la réunion sera reportée à vendredi prochain ou à encore plus tard selon plus d’un membre du Hezbollah ou encore le général Aoun. Plus tard cela veut dire l’inconnu ; le Liban théâtre de toutes les crises du Proche-Orient est seul.
MAROUN CHARBEL