La France et tout l’occident parle désormais avec Kadhafi qui est devenu fréquentable.
Je suis scandalisé.
Nous avons reçu des enfants libyens pour les soigner. Très bien. Mais nous ne devrions pas parler aux dirigeants de ce pays.
Lâcheté d’Etat Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été une deuxième fois condamnés à mort à Tripoli pour avoir contaminé des enfants avec le VIH. L’innocence des six accusés a pourtant été amplement démontrée par des études scientifiques et par l’antériorité des faits à leur arrivée en Libye. Le monde est indigné. INDIGNÉ, CHOQUÉ, SCANDALISÉ, les réactions sont unanimes, de Sylvie Vartan (originaire de Bulgarie) à Philippe Douste-Blazy, ministre français des Affaires étrangères, qui avait rendu visite aux accusés en janvier dernier, en passant par la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleezza Rice : le verdict ne peut avoir été décidé que par une justice aux ordres, qui n’a d’ailleurs pas pris en compte les témoignages innocentant ces six malheureux soignants, emprisonnés depuis sept ans, et qui ont été torturés jusqu’à ce qu’ils passent aux aveux avant de se rétracter. Ils ont vécu un calvaire interminable et les pressions venues du monde entier n’ont pas réussi à les faire libérer. Pour eux, on ne peut rien demander d’autre que la libération immédiate. Leurs avocats ont fait appel de la décision qui sera examinée par la Cour d’appel libyenne. Mais on n’a pas de raison d’en attendre plus de clémence : si l’intention cachée du dictateur local, Mouammar Kadhafi, était de trouver une issue qui ne ferait pas de lui un monstre, le colonel n’aurait pas laissé se multiplier des précédents peu propices à un acquittement final. Le contexte politique. Il n’existe pas d’autre moyen, pour sauver les six accusés, d’exercer sur le gouvernement libyen et sa justice des pressions quotidiennes. On peut toujours craindre en effet que les Occidentaux s’accommodent d’une décision inique parce qu’ils participent depuis quelques années à un processus qui a fait sortir la Libye de la catégorie des « Etats voyous ». Les Etats-Unis, notamment, ont passé avec Tripoli un accord en vertu duquel la Libye a renoncé à l’arme nucléaire, et le lourd contentieux créé par l’attentat de 1989 contre un avion de la PanAm a été réglé par une indemnisation des familles des victimes américaines. Les Etats-Unis, qui ont obtenu avec Kadhafi un de leurs rares succès diplomatiques depuis que George Bush est à la Maison-Blanche, ne souhaitent pas que les relations américano-libyennes se détériorent de nouveau, d’autant que l’Etat libyen a pu reprendre ses livraisons de pétrole vers l’Europe et l’Amérique. On peut craindre, en outre, que le sort de cinq infirmières bulgares et d’un médecin palestinien ne pèse pas suffisamment dans les calculs diplomatiques des grandes chancelleries occidentales. DANS L'ENTETEMENT DE KADHAFI, UN CYNISME IGNOBLE Il demeure qu’une exécution des condamnés serait intolérable pour le monde entier. Le gouvernement bulgare, qui a réagi au verdict en rappelant que les infirmières et le médecin ont été innocentés, ne dispose d’aucun moyen de pression sur Kadhafi. C’est pourquoi nous devons réagir comme si les six soignants étaient français ; et les Etats-Unis devraient nous imiter. Le gouvernement français s’était employé à trouver une solution en faisant soigner en Europe les quelque quatre cents enfants libyens contaminés par le VIH, dont plus de cinquante sont morts. Les familles des victimes, qui ont chanté et dansé à l’énoncé du verdict, semblent convaincues par une propagande tenace que les condamnés sont bel et bien coupables ; elles exigent en outre le versement d’indemnités colossales : quinze millions de dollars par enfant contaminé ou décédé. Comme le disent fort bien les avocats, le procès devrait être délocalisé : ils n’espèrent plus rien de la justice libyenne et singulièrement de la Cour suprême. Kadhafi embarrassé ? Le déni de justice, la violence du verdict, l’ignorance de la réalité des faits (l’absence totale d’hygiène des hôpitaux libyens) dans laquelle est maintenue l’opinion libyenne sont les effets d’une incroyable hypocrisie collective et de la lâcheté d’Etat. Il n’est pas impossible que le colonel Kadhafi, qui a laissé se répandre des accusations faciles contre des soignants étrangers choisis délibérément comme boucs émissaires, n’ait pas su ensuite renverser Dans cette affaire particulièrement pénible, l’élément politique est donc le plus important : si le colonel Kadhafi est disposé à se rapprocher des Européens et des Américains, il craint qu’un scandale produit par des aveux officiels ne mine ou n’emporte son régime. Il a pourtant démontré que son emprise sur la Libye ne s’est jamais affaiblie depuis 37 ans, et sa longévité politique va bientôt concurrencer celle de Fidel Castro. Et il n’y a certainement pas beaucoup d’honneur, chez un homme qui n’encourt pas le jugement des urnes et peut se maintenir au pouvoir indéfiniment, à jeter en pâture à un peuple infantilisé la vie de six innocents. On verra même dans son entêtement l’expression d’un cynisme ignoble : pour sauver la réputation d’un régime pourtant infâme ou la face d’un seul homme, des juges ont accepté de trahir leur serment et d’envoyer à la mort une demi-douzaine de personnes dont la seule erreur aura été d’avoir voulu soigner des Libyens malades. > RICHARD LISCIA |
Le Quotidien du Médecin du : 21/12/2006 |